Les râleurs sont légion quant à juger la pauvreté de la palette jardinière offerte par la saison hivernale. Quel n'est pas le rêve de tous de se nourrir d'une production locale à longueur d'année sans pour autant transgresser les lois végétales ? Et encore mieux si elle provient de son propre potager ?
N'en déplaise aux plus réticents, le Lieu Infini des Possibles à Mallemort nous a bien apportés la preuve que les couleurs arborant nos assiettes n'ont rien à envier au cycle des saisons. À juste titre, l'atelier du 30 mars animé par Christelle de La part sauvage a démontré que la lacto-fermentation reste la possibilité remède à ces maux là. Mais au-delà de la technique, elle prouve encore qu'elle constitue un avantage non négligeable dans plusieurs autres domaines.
Si la lacto-fermentation a perdu un temps sa gageure, elle le doit surtout à l'apparition des conserves stérilisées et du réfrigérateur au début du XXème siècle. Nous vivons cependant un tournant dans nos modes de vie qui ramène progressivement cette technique ancestrale de conservation des aliments au centre des ateliers de cuisine. D'abord parce qu'elle est simple à réaliser, qu'elle nécessite très peu de matériel et qu'elle reste avant tout à la portée de tous, jusqu'au piètre des cuisiniers. À en croire Christelle, elle en était presqu'à dire "ramène ta fraise et je m'occupe du reste" pour rameuter ses troupes.
La lacto-fermentation interroge aujourd'hui parce qu'elle ne fait aucun doute sur la durée prolongée de la conservation des aliments, ni sur les procédés naturels qu'elle utilise de manière la plus économique possible. Car ici, il n'est point question d'engager un mode de cuisson, donc de faire tourner les compteurs énergétiques. Tout se joue dans la réaction bio-chimique entre le contenant et son contenu, et bien sûr les mains agiles de son apprenti sorcier. Il suffit en effet d'un peu d'habileté dans la découpe des aliments, d'un Parfait bocal bien stérilisé, d'eau non chlorée et de sel.
La réussite est au rendez-vous lorsque les aliments trempés dans l'eau macèrent jusqu'à destruction des bactéries pathogènes pour se métamorphoser en bactéries lactiques (ou "bonnes bactéries"). Les sucres sont ainsi transformés et la possibilité de moisissure combattue tout en préservant la qualité nutritionnelle et gustatives des aliments.
Nous nous plaisons à imaginer nos aïeux abonder les étagères de leur cave de bocaux en tout genre. Comme s'il préservaient leur nourriture dans du formol ou que l'état de guerre permanente nourrissait leurs inquiétudes. La démarche n'en reste pas moins pertinente. Surtout à l'heure des restrictions en tout genre.
On sait par ailleurs combien l'agriculture intensive a sabordé les sols par un système de production lié aux contraintes de la grande distribution privilégiant les coûts à la qualité. Mais à force de répondre dans un premier temps à une demande pour ensuite la créer hors des contextes saisonniers, celle-ci a mis en avant une surproduction artificielle, souvent au détriment des circuits courts et locaux. Combien de trésors empoisonnés offerts par une terre maltraitée ont fini ainsi aux oubliettes derrière les murs des grandes enseignes arrosés d'eau de Javel ?!
Un retour à un respect de la terre doit nous alerter quant à la maîtrise des techniques de production et de sa consommation à condition qu'il se fasse hors des effets pervers de la productivité à outrance. C'est sans doute un moment opportun pour nous éduquer à la lacto-fermentation afin de modifier nos comportements. Car si une récolte peut s'avérer généreuse, elle est capable de générer des satisfactions pour tous dans la mesure où elle est gérée en amont, à la sortie du potager. Pour les plus râleurs, il s'agit d'anticiper leurs désirs de toutes variétés à n'importe quelle période de l'année sans pour autant consommer le hors-saison proposé par l'agriculture intensive. Pour les autres, outre les réserves faites chères à nos aïeux, la lacto-fermentation évite de regarder mourrir sa production à l'image des containers débordant de la grande distribution.
Peut-être avons-nous trouvé en la lacto-fermentation l'une des clés pour lutter contre les dérives productives. Sans doute, est-il bon de rappeler combien elle constitue un allié précieux pour notre organisme.
Si le procédé reste le plus fiable en matière de conservation des aliments, c'est qu'il n'altère en aucun cas les propriétés des nutriments contrairement à d'autres techniques de conservation. La lacto-fermentation reste par là-même au centre d'un cercle vertueux qui permet aux aliments de préserver leurs vitamines et minéraux autant qu'elle en multiplie leurs qualités nutritionnelles par rapport au produit frais initial.
Rappelant par ailleurs que la flore intestinale a besoin de bonnes bactéries pour fonctionner sainement, la lacto-fermentation se charge de les fabriquer afin d'en combattre les mauvaises, dangereuses pour l'organisme. Elle contribue ainsi, telle un bouclier, à renforcer le système immunitaire tout en luttant contre les maladies cardio-vasculaires, le diabète, certains cancers, l'obésité et bien d'autres. En se portant garant de la flore intestinale de telle façon, elle permet d'améliorer la digestion parce qu'elle réduit la teneur des aliments en facteurs antinutritionnels, à l'origine des problèmes de muqueuse intestinale.
Affirmer que l'agriculture raisonnée reste un cheval de bataille pour les générations à venir n'est pas un leurre. À trop longtemps privilégier l'abondance alimentaire au détriment de techniques contestables, nous sommes réellement en mesure de déterminer à quel point les ressources risquent de se confronter à une pénurie à la fois quantitative et qualitative.
Si tant est que l'on veuille à minima préserver ces ressources, un retour à l'agriculture de proximité s'impose évidemment, en accord respectable avec les lois naturelles. Pour modifier nos comportements face à une consommation de masse, les petites parcelles de potagers devraient gagner du terrain. Ou du moins, les acteurs locaux devraient faire en sorte d'en faciliter l'émergence.
C'est souvent à l'initiative de ces petits groupes que naissent sans arrogance ni prétention des dynamiques pédagogiques dont l'objectif est le contentement général raisonné. L'atelier de lacto-fermentation réalisé au Lieu Infini des Possibles de Mallemort en reste à petite échelle un exemple frappant tant il témoigne des bienfaits d'une technique sans grand moyen sur le vivant. Il en va non seulement de la préservation de notre santé mais également d'une gestion globale des ressources naturelles, pas seulement alimentaires mais aussi environnementales.
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